Maladies Infectieuses
30/04 - Comment prendre en charge un patient présentant un Covid long en médecine de ville? Etant donné le nombre conséquent de manifestations et les connaissances limitées sur cette maladie et son retentissement à long terme, le médecin généraliste peut rapidement se sentir démuni. Récemment, la Haute Autorité de Santé (HAS) avait rédigé à leur attention des fiches de réponse rapide, détaillées lors du webinaire « Symptômes prolongés de la Covid-19 chez l'adulte », dédié aux médecins généralistes. A la fin des présentations, les auditeurs ont eu l'occasion de poser leurs questions auxquelles la HAS a répondu. Voici les plus fréquentes.
Comment évaluer le trouble de l'odorat?
Réponse du Dr Charlotte Hautefort (ORL, hôpital Lariboisière, Paris)
« Le patient peut se plaindre d'une perte ou d'un trouble de l'odorat, c'est-à-dire de la modification de certaines odeurs ou saveurs. Certaines plaintes sont par ailleurs essentiellement alimentaires. Il s'agit probablement d'un trouble de l'odorat lié à la Covid si le patient a été infecté par le SARS-CoV2.
Dans ce cas-là, vous présentez des flacons d'épices de cuisine que vous conservez au cabinet : clou de girofle, vanille, cannelle. Il faut les faire sentir au patient et lui demander s'il sent quelque chose puis s'il sait reconnaître ce qu'il sent, ce qui permet de mettre en évidence les modifications des odeurs. On peut également demander aux patients d'évaluer leur perte d'odorat sur une échelle entre 0 et 10. Les vrais tests pour l'évaluer l'odorat, essentiellement l'olfactométrie, sont quasiment impossibles à réaliser en consultation de ville. Ils sont réservés aux malades sévères. »
Comment mettre en place une rééducation olfactive?
Réponse du Dr Charlotte Hautefort (ORL, hôpital Lariboisière, Paris)
« Pour la rééducation, je conseille les flacons du quotidien en incluant bien la vanille qui est une odeur très douce, très agréable, et qui est exclusivement olfactive. Pour ma part, je n'utilise pas d'huile essentielle car on n'est pas habitué à leurs odeurs dans la vie quotidienne. Je conseille aux patients des épices achetées en supermarché.
Attention aux tutoriels sur Internet, notamment le site anosmie.org, qui préconisent une rééducation à l'aveugle. Or l'objectif d'une rééducation est au contraire de reconnecter une détection souvent redevenue normale à la mémoire olfactive pour que la connexion entre la mémoire olfactive et les nouvelles perceptions des patients puissent devenir cohérentes. C'est pour cela qu'il faut rééduquer au moins une fois par jour en pleine conscience. Le patient doit pouvoir lire ce qu'il va sentir. Il faut savoir que la récupération est très longue mais les résultats sont très positifs sur plusieurs mois voire années. On le sait par la littérature que les pertes olfactives post-virales peuvent nécessiter deux à quatre ans avant un retour à la normale ».
Que recommander aux patients présentant un « brouillard mental »?
Réponse du Pr Nathalie Kubis (neurologue, hôpital Saint-Louis, Paris)
« C'est avant tout un trouble de l'attention pour lequel on ne prescrit pas de médicaments mais on donne des recommandations générales pour améliorer les troubles de l'attention comme :
bannir l'alcool
diminuer la consommation d'excitants (thé-café)
pas d'activité physique ni d'écran après 18h
dormir dans une chambre fraîche (autour de 19°C, voire moins)
en journée, éviter les activités multitâches
pratiquer la méditation de pleine conscience »
Peut-on prescrire une rééducation par le sport pour les patients avec des problèmes de fatigue? Réponse du Dr Nicolas Barizien (spécialiste en médecine physique et réadaptation, Hôpital Foch, Suresnes) « Dans la phase aiguë de la Covid, il est indispensable de se reposer mais dans les semaines qui suivent, il est important de reprendre une petite activité quotidienne. Si les symptômes s'installent, il va falloir faire de la rééducation. Un des symptômes majeurs est l'essouflement au moindre effort, il faut commencer la rééducation par traiter le problème respiratoire avant de se remettre à faire du sport. Car sinon le sport sera un facteur aggravant, redéclenchant des dyspnées, des douleurs articulaires et musculaires. Le timing du reconditionnement à l'effort est le suivant : - On commence par une prise en charge de kinésithérapie pour les problèmes respiratoires, notamment pour resynchronisation des respirations abdominale et thoracique ; - Puis reconditionnement à l'effort avec de l'endurance douce ; - Petit à petit, au bout de quelques semaines, on réadapte l'organisme à un effort plus ou moins intense avec de l'entrainement fractionné ». Quelles sont les séquelles cardiaques de la Covid? Réponse du Dr Emmanuel Sorbets (cardiologue, Hôtel Dieu, Paris) « Il n'y a pas de données qui décrivent des séquelles cardiaques à long terme. Les symptômes de douleurs thoraciques, essentiellement d'origine musculaire et pariétale, s'améliorent avec le temps, grâce aux traitements symptomatiques, au repos et la réadaptation douce et progressive. Si on fait un parallèle avec ce que l'on sait des atteintes parenchymateuses pulmonaires, on peut espérer une amélioration des fibroses myocardiques dans le temps. Mais on manque de données pour le cœur. » Quelle est la conduite à tenir devant des douleurs thoraciques? Réponse du Dr Emmanuel Sorbets (cardiologue, Hôtel Dieu, Paris) « Les douleurs thoraciques sont fréquentes dans les symptômes persistants. A long terme, à distance des épisodes aiguës, des péricardites et des myocardites ont pu être authentifiées. Mais on sait également que les douleurs thoraciques sont le plus souvent non cardiologiques. L'histoire de la maladie et l'examen clinique vont pouvoir orienter vers un diagnostic et une prise en charge non-cardiologiques. En cas de doute, il ne faut pas hésiter à demander un avis à un cardiologue correspondant. Le médecin généraliste va avoir un rôle central pour la prise en charge de ces patients dans la mesure où les cardiologues ne pourront pas recevoir tous les patients avec une Covid longue présentant des douleurs thoraciques. C'est important de rester positif et dans la plupart des formes que nous prenons en charge, il y a une amélioration. » Comment traiter les troubles somatiques fonctionnels qui ne répondent pas à la réassurance et à la rééducation physique? Comment faire la part entre l'organique et le psychique? Réponse du Pr Brigitte Ranque (interniste, Hôpital Européen Georges-Pompidou, Paris) « Ce n'est pas facile de faire la part entre l'organique et le psychique car les symptômes sont exactement les mêmes. Ce sont des ressentis extrêmement physiques. Ce n'est finalement pas très important, il faut surtout essayer de ne pas alimenter des cercles vicieux susceptibles d'entretenir la souffrance. Dans mon expérience, les symptômes disparaissent en quelques semaines. Il est toujours temps après de reprendre des investigations cliniques et de faire des examens complémentaires si nécessaires. Bien sûr, une enquête diagnostique minimum est nécessaire avant de pencher pour des troubles somatiques fonctionnels. Comment aider les gens? Le reconditionnement à l'effort a plusieurs vertus : il rééduque le cerveau vers un schéma corporel très moteur, ce qui a une vertu cognitive, il diminue les symptômes physiques et l'anxiété, il produit des endorphines. Quand cela ne suffit pas, des techniques de relaxation peuvent être associées car il est important de limiter l'état d'alerte permanente du cerveau. Il y a plusieurs techniques : la méditation de pleine conscience, l'autohypnose, la sophrologie.... Le patient peut aussi être orienté vers un thérapeute pour débuter une thérapie cognitivo-comportementale et faire de la remédiation cognitive. Pour trouver un professionnel, je conseille le site de l'Association française de thérapie comportementale et cognitive (AFTCC). L'EMDR fonctionne bien aussi mais cette technique est moins accessible. » Comment améliorer les patients qui gardent une dyspnée d'effort sans désaturation? Réponse du Pr Claire Andréjak (pneumologue, CHU d'Amiens) « Il y a souvent un syndrome d'hyperventilation, c'est-à-dire que ce sont des patients dyspnéiques à l'effort car ils hyperventilent à l'effort alors qu'ils n'en ont pas besoin. Il faut alors prescrire une réadaptation à l'effort avec le kinésithérapeute pour réapprendre à respirer et savoir quels efforts faire car le problème de ces patients est de vouloir si remettre trop brutalement. » A qui adresser les patients avec des troubles dysexécutifs? Réponse du Dr Nicolas Barizien (spécialiste en médecine physique et réadaptation, Hôpital Foch, Suresnes) « Les professionnels les mieux formés et les plus compétents pour les évaluer sont les neuropsychologues mais il y en a très peu dans les hôpitaux et encore moins en ville. C'est une profession difficile d'accès et le bilan en ville est cher et non-remboursé. Nos collègues orthophonistes qui ont l'habitude de travailler avec des patients souffrant de maladies neurologiques (rééducation AVC, pathologies neurodégénératives) ont été amenés à se former à la rééducation neurocognitive. On y a plus facilement accès. S'il n'est pas possible d'accéder à un bilan neuropsychologique complet, c'est bien que l'orthophoniste fasse déjà un bilan. Cela nécessite par ailleurs une implication complète du patient pour faire un « autotraining » quasiment quotidien par exemple à partir de jeux (mots fléchés, mots croisés). Il faut faire travailler son cerveau comme on ferait travailler une cheville après une entorse. » Peut-on prévenir les formes longues chez nos patients Covid +? Réponse du Pr Dominique Salmon Ceron (infectiologue, Hôtel Dieu, Paris) « A ma connaissance, on ne sait pas quels sont les facteurs de risque de survenue de la Covid longue. Les femmes, les jeunes sont plus souvent concernés, d'où la possibilité d'un terrain. Peut-être qu'il faut se remettre assez vite aux activités que l'on pratiquait avant. Il y a encore beaucoup d'inconnues. Tant qu'on ne connaîtra pas la cause exacte de cette Covid longue, on ne pourra pas répondre à cette question sur la prévention. Beaucoup de recherches sont en cours sur les aspects organiques mais aussi sur des aspects thérapeutiques. Mais, il est difficile de mener des essais thérapeutiques tant qu'on ne connaît pas la cause. Après la phase descriptive de la Covid longue, on en est à étudier la phase étiologique. Après seulement, on pourra passer à la phase thérapeutique et préventive ». Peut-on vacciner avec un vaccin contre la Covid-19 les patients présentant des symptômes prolongés? Réponse du Pr Dominique Salmon-Ceron (infectiologue, Hôtel Dieu, Paris) « En théorie, c'est important de vacciner les patients. D'une part, cela va éviter les réinfections et on assiste de temps en temps à des réinfections. D'autre part, ces patients ont parfois des sérologies qui se sont négativées : les vacciner permettra de leur faire acquérir des anticorps neutralisants. Dans l'état actuel des connaissances, je suis plutôt partisane de proposer aux patients de se faire vacciner ou du moins de répondre positivement à leur demande quand ils souhaitent se faire vacciner. Maintenant, l'expérience est assez courte. Certains patients font des réactivations de symptômes (douleur thoracique, grande fatigue). Mais je n'ai pas lu d'effets secondaires sévères. Je pense donc que les points positifs l'emportent sur les points négatifs ».
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